Sommaire

Molière, c’est l’homme de théâtre absolu et total. Acteur génial, directeur de compagnie, il a complètement renouvelé le théâtre comique de son temps et créé des personnages immortels. Il est à la fois un auteur engagé, au service de la liberté, et un grand amuseur. Bref, c’est un bienfaiteur du genre humain !

L’histoire (vraiment) vivante de Molière

Par sa famille et son milieu, Jean-Baptiste Poquelin était éloigné du théâtre et destiné à reprendre l’affaire de son père, mais à 21 ans il rencontre Madeleine Béjart, une comédienne, belle rousse de quatre ans plus âgée que lui, femme de tête et femme libre, et fonde avec elle à Paris l’Illustre Théâtre… qui doit bientôt fermer croulant sous les dettes.

Qu’à cela ne tienne ! La troupe de Madeleine et Jean-Baptiste (il n’a pas encore adopté son nom de Molière) part pour la province et devient itinérante, sous la protection de plusieurs grands, durant treize ans. Pas étonnant que Molière fasse parler ses paysans en occitan ou en picard : il a parcouru la France. C’est là qu’il commence à écrire pour étoffer le répertoire de sa troupe, dont la renommée s’étend.

Invité à jouer à la cour, il fait rire Louis XIV : le souverain aime le théâtre et va le protéger, lui commandant de nombreuses pièces pour ses fêtes. Désormais, Molière crée ses comédies à Versailles ou à Paris, où il s’impose, reprenant le théâtre du Palais-Royal. Les Précieuses ridicules sont son premier triomphe, en 1659 : c’est à la fois une satire de mœurs et une farce. Tout au long de sa carrière, Molière pratique le comique de farce, avec plaisanteries sur le bas corporel, grimaces et coups de bâton : ce n’est pas pour lui un genre inférieur, car la farce repose sur le corps humain, elle nous rappelle à notre matérialité et à notre fragilité (« Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère ! »). Molière crée des pièces très audacieuses, en prise avec tous les débats de son temps, toujours au service de l’émancipation humaine : ses intrigues mettent en évidence l’instrumentalisation de la religion au service du pouvoir sur les autres, pouvoir du mari (l’École des femmes), du directeur de conscience (Tartuffe), du grand seigneur méchant homme (Dom Juan).

Malgré la protection du roi, ces pièces sont attaquées par des ennemis puissants : il lui faut cinq ans pour imposer Tartuffe, et Dom Juan, en dépit d’un énorme succès, doit s’arrêter après quinze représentations. Molière, homme très cultivé, à la fois s’inspire des Anciens (Amphitryon, comédie mythologique est une réécriture de Plaute), et innove en toute liberté : à Dom Juan, pièce baroque à grand spectacle, succède Le Misanthrope. Pour certains, c’est son chef d’œuvre que cette étrange comédie sans arrière-plan familial, sans figure de père autoritaire, centrée sur un personnage pur et sincère, qui se termine dans une atmosphère de désolation, et où cependant Molière, le plus grand acteur comique de son temps, faisait rire en Alceste.

Vers la fin de sa carrière, il invente le spectacle total : la comédie-ballet, avec ses intermèdes chantés et dansés, en collaboration avec les meilleurs musiciens de l’époque. Dans ces œuvres, les problèmes créés par un fou de noblesse (Monsieur Jourdain) ou un fou de médecine (Argan) sont résolus par le théâtre, la musique, la danse et la pure fantaisie. Le théâtre est un remède ! Pourtant, épuisé par une production incessante (34 pièces entre 1659 et sa mort en 1673), malade depuis quelque temps, il meurt à l’issue de la quatrième représentation du Malade imaginaire, à 51 ans, devenant pour l’éternité le Patron des comédiens.

Pourquoi ça marche encore aujourd’hui ?

Dans les pièces de Molière, il y a très peu de passages datés, qui ne vaudraient que pour son époque. La plupart des situations sont transposables aujourd’hui, car il s’agit de faire triompher la liberté et la vie contre un pouvoir abusif. Les situations chez Molière sont souvent terribles : des jeunes gens risquent d'être sacrifiés à la folie d’un père, un seigneur libertin dévaste tout sur son passage, une fille a été quasi vendue par ses parents (Georges Dandin), les enjeux sont forts.

Mais ses grands personnages sont toujours ambigus, un vrai terrain de jeu pour les acteurs : Arnolphe est à la fois antipathique et pathétique, Don Juan est malfaisant et courageux, Tartuffe contrôle tout, sauf ses pulsions…

Molière, homme de scène, veillait à donner à chaque membre de sa troupe son morceau de bravoure, selon son talent. Même les petits rôles ont droit à des scènes mémorables, ce qui fait que le spectateur ne s’ennuie jamais. Le plaisir du spectateur est premier pour Molière.

Il crée de très beaux personnages féminins : ce sont souvent les femmes, servantes ou maîtresses, qui assurent le triomphe de la vie, par leur finesse et leur intelligence ; Célimène est un personnage aussi mystérieux et insaisissable que Don Juan.

Molière n’oublie jamais le comique. Dans leur folie même, leur monomanie autolâtre, leur outrance, ses grands personnages sont aussi profondément comiques (et terribles à la fois) qu’un Trump. Mais il sait aussi alléger les situations les plus graves par des moyens simples et efficaces : le comique de répétition, le quiproquo, des personnages secondaires semblables à des pantins, comme Madame Pernelle dans Tartuffe, Bélise dans Les Femmes savantes ou les Diafoirus.

Sa langue n’a pas vieilli, que ce soit en vers ou en prose : très rythmée, elle donne une impression de naturel inégalable, et ne sent jamais l’effort, ce que l’on reconnaissait déjà à son époque : « De grâce, enseigne-moi l’art de trouver la rime ! » lui dit Boileau. Tous les comédiens témoignent de cette qualité en bouche de «la langue de Molière », expression devenue une périphrase pour « le français ».

Molière, par quoi commencer ?

Sans hésiter par Le Malade imaginaire, la dernière pièce, à la fois très accessible et très profonde. Le comique de farce (il est question du ventre d’Argan, de sa nourriture, ses médecins le poursuivent avec de grands clystères) réjouit petits et grands, ainsi que l’astuce de Toinette pour désamorcer les projets du Malade. Les personnages de médecins permettent des compositions chargées et du comique de mots. Mais c’est aussi une pièce qui fait l’apologie indirecte du théâtre : c’est en jouant un rôle que Toinette commence à détacher Argan de ses médecins, c’est en s’inventant des personnages de bergers que les jeunes amoureux peuvent se parler en chantant à la barbe du père. De grands thèmes humains sont présents : la crédulité folle de celui qui a peur de la maladie et de la mort, l’amour en lutte contre l’égoïsme patriarcal, le pouvoir qu’on peut avoir sur autrui avec une fausse autorité et de grands mots, les relations familiales toxiques (il y a même une enfant sur scène, la petite Louison, qui va dénoncer sa sœur sous la pression d’Argan), l’hypocrisie et l’appât du gain, la lutte de l’intelligence (Béralde) contre l’imbécillité (les Diafoirus). Et c’est encore une pièce contre le pouvoir religieux, l’autorité abusive du médecin étant l’équivalent de celle du prêtre sur les âmes. Et si on a la chance de voir Le Malade avec tous ses passages chantés et dansés, y compris les intermèdes entre les actes, c’est une fête totale !

Unpopular opinion : Le Malade imaginaire est la plus grande pièce de Molière !

Petit palmarès personnel (incomplet)

Mon plus grand Scapin : Jérémy Lopez dans la mise en scène de Laurent Brethome (2014)

Mon plus grand Don Juan : Andrzej Seweryn dans la mise en scène de Jacques Lassalle (2003)

Ma plus grande Célimène : Mélodie Richard dans la mise en scène de Georges Lavaudant (2025)

Mon plus grand Bourgeois : François Morel dans la mise en scène de Catherine Hiegel (2012)

Mon plus grand Sganarelle : Jean-Pierre Leroux dans la mise en scène d’Arnaud Denis (2014)

Ma plus grande Elmire : Isabelle Gélinas dans la mise en scène de Peter Stein (2018)

No items found.
Newsletter

Ne manquez pas nos dernières actualités

Merci pour l'inscription à notre newsletter ! À très vite !
Oops! Something went wrong while submitting the form.