La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Moi non plus, je n'ai pas lu Foucault. Ça nous fait un point commun, et c'est sur cette base simplement que je choisis de découvrir ce spectacle. J'ai lu le résumé en diagonale avant d'y aller. Je savais qu'il s'agissait d'ateliers d'écriture en prison. J'aime le théâtre documentaire, ça y ressemblait un peu, de loin. Je me dis rapidement qu'en fait, pas tant que ça. C'est une forme de théâtre documentaire, dans la mesure où les échanges et les extraits des détenus n'ont pas été modifiés. Mais c'est surtout un récit, une histoire qui nous emporte.
Il y a le récit principal — celui de cette comédienne qui mène les ateliers. Et puis il y a tout ce que ce récit transporte : le théâtre, l’art qui sauve, les liens qui se tissent. Un regard sur ces autres que sont les détenus. Sur l’enfermement. Sur leur humanité. Sur la satisfaction, aussi, d’avoir essayé. D’avoir fait quelque chose. On rit aussi, je ne m'y attendais pas. Elle fait ça avec simplicité, avec authenticité. Elle transmet beaucoup, dans ce qu’elle raconte. Il y a de la pudeur, des ratés, du respect. L’envie de laisser la place. L’écoute. L’humilité. Et cette idée qui me touche : on n’a pas besoin de savoir pour regarder un tableau.
On voit des tableaux. C'est chouette. On les regarde, on les étudie, on y pense, et puis on écoute leur commentaire à eux. Moi aussi je voulais m'instruire, en fait. Moi non plus, je n’ai pas ces codes-là. Moi aussi, parfois, j’ai un peu honte de ne pas savoir reconnaître un Cézanne. Mais elle, elle donne la place à tout le monde. Elle rappelle quelque chose d’essentiel : il n’y a pas à avoir raison ou tort. Il y a à regarder. À ressentir. À prendre un peu confiance.
C’est sûrement là qu’est le plus fort de ce spectacle. Pendant un moment, on fait le même exercice qu’eux. La scène est vide, peut-être comme la salle de prison dans laquelle elle a accueilli ses élèves. On regarde, on réfléchit, on ressent. On se met à leur place. On regarde les tableaux qu’elle projette, comme elle les a montrés aux détenus. Hopper, Basquiat, Picasso… Et ce qui est fou, c’est que leurs mots à eux, leurs lectures, leurs regards changent les nôtres. On ne s’arrête pas sur les mêmes détails. On apprend d’eux. Là où on voyait un couple, eux remarquent les gens du fond. Là où on analysait la technique, eux parlent de solitude, de violence, d’amour. Ces différences de point de vue, c'est ce qui nourrit. C’est comme ça qu’on élargit nos horizons. Mais ces voix-là, on ne les entend jamais. Ces gens, elle ne les aurait jamais croisés si elle n’avait pas fait ça. Et nous non plus.