La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
C’est pour Bernard Malaka que j’ai choisi ce spectacle. Pour sa voix, pour sa présence, pour ce magnétisme discret qui m’aimante à chaque fois. Mais je l’ai choisi sans trop y croire. Voir de grands comédiens sur scène est un plaisir - il est accompagné de Florence Pernel, excusez du peu - mais il ne suffit pas. Le texte m’inspirait moyennement – un air un peu trop américain à mon goût. L’affiche ne m’avait pas totalement convaincue. Mais bon il y a des artistes qu’on choisit de suivre, même à l’aveugle. Et on a raison.
Je me suis fourrée le doigt dans l'oeil. Elle en a des choses à dire, cette pièce. On pourrait presque parler de trois histoires en une. Trois temps, trois mouvements. L’amour d’abord, bien sûr. Les retrouvailles. Et puis, doucement, quelque chose se fissure, une tension s’installe. L’ambiance change, les thèmes s’élargissent. Le politique affleure, le sociétal s’invite, un petit twist vient tout bousculer. On ne s’enlise jamais : chaque partie relance la machine, trouve son souffle propre, rééquilibre le tout.
Ce sont deux anciens amants qui se retrouvent. Ils ne s'en cachent pas, ils ont une vie derrière eux. C'est marrant, j'en vois des pièces vieillottes dans le OFF. Ici, on a deux personnages qui assument leur soixantaine, et pas à un moment ça ne sent le vieux. Ce spectacle est tout sauf figé dans le passé. Ça sent l'amour, ça sent la mélancolie, ça sent les souvenirs, mais surtout ça pulse au présent.
Les deux comédiens sont remarquables. Ils se cherchent, se frôlent, s’épaulent, s’ajustent, se désaccordent, se retrouvent. Chacun a une partition exigeante, qu’ils défendent avec beaucoup de justesse - et de nuance. On sent les doutes, les moments de vertige, les élans retenus, les presque-chutes et les regains d’aplomb. Ils se frottent l’un à l’autre, au texte, au moment. Il y a entre eux quelque chose de l’ordre de la parade nuptiale. Et une sacrée complicité au plateau.
J'ai l'impression de vivre un Avignon à toute allure. Que tous les spectacles courent après le temps, chercher à nous mettre en apnée - et c'est cool, j'aime beaucoup ça. Mais j'aime aussi respirer. Ce spectacle, il respire. C’est un spectacle touchant et intelligent, jamais lourd, jamais démonstratif. Un peu comme si la mer prenait le ton de leurs échanges : on est baladé au gré de leurs souvenirs, de leurs désirs, de leurs colères aussi. On parle d’amour, on parle d’après, on s’engueule sur la politique. Et tout cela forme un flux, une vague douce ou vive, mais toujours incarnée. On sort de là ému, un peu brassé, doucement touché.