La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Je ne connaissais pas bien Jean Giraudoux mais les quelques rencontres avec l’auteur n’avaient jusqu’ici pas été réellement fructueuses. Mais en lisant le texte dans le cadre du Phénix Festival, je n’ai pas retrouvé le style verbeux qui m’avait plusieurs fois laissée de côté, et je me suis dit que cette adaptation serait peut-être le spectacle qui me fera changer d’avis. Il faut bien reconnaître que c’est d’abord étrange d’entendre Oreste qui parle de glyphosate et Argos devenu un restaurant. Mais l’adaptation de Sebastien Bizeau s’en tire haut la main et l’on oublie vite les idées habituellement associées à ces noms-là pour entrer dans cette nouvelle réalité qui nous est proposée.
Cette transposition quelque part entre la startup nation et le monde politique est maligne car elle permet de souligner tacitement l’importance des mots et du sens qu’on y met. La construction de la pièce vient renforcer encore cette impression et nous pousse toujours plus avant dans l’écoute fine et attentive de tout ce qui se dit… et tout ce qui ne se dit pas. Théâtralement, ils ont tout compris. L’adaptation est très efficace, la langue est simple, l’action avance, le rythme est ultra resserré, les transitions entre les scènes fonctionnent à merveille, rien n’est laissé au hasard. On reconnaît parfois la langue de Giraudoux au milieu du texte adapté par Sébastien Bizeau, mais la pièce forme un tout vraiment équilibré.
Les deux seconds rôles, si on peut vraiment les appeler ainsi, ou disons plutôt les deux rôles caméléons, ceux qui incarnent différents personnages, ceux qui se transforment au gré des situations, sont absolument superbes. Jean-Baptiste Germain et Paul Martin sont deux contrepoints en opposition de phase, le premier projetant autour de lui une aura si particulière qu’il utilisera avec beaucoup d’intelligence sur chacun de ses personnages, qu’il soit ministre, Egyste ou prêtre, le second impulsant un dynamisme frais, étonnant, drôle, saisissant le mot au rebond et créant la surprise sur ses répliques. Matthieu Le Goaster se transforme tout au long du spectacle et troque avec subtilité ses mots creux pour des mots incarnés : d’une salle d’attente à l’autre, il n’est plus le même et affiche une sensibilité à fleur de mot. Cindy Spath compose une Clytemnestre tout en nuance, déclanchant chez le spectateur une palette de ressentis allant de l’empathie à l’aversion. C’est peut-être Maou Tulissi qui nous a laissé un peu sur notre faim, encore un peu écrasée par cette Electre qui manque de puissance.