La critique de l'Affiche
L'avis de
Mordue
Ce n'est pas tous les jours qu'on reçoit un flyer marqué « spectacle déconseillé aux moins de 16 ans ». L'avertissement pose immédiatement une ambiance. On sait qu'au cinéma ou dans les jeux vidéo, cette mention est devenue autant une nécessité qu'un argument marketing. En glissant ce petit « à vos risques et périls », on vient chatouiller l'appétit de ceux qui aiment les sensations fortes. C'est peut-être là-dessus que mise le Théâtre de l'Œuvre. Et ce Killer Joe aux allures de GTA devrait effectivement ravir les adeptes du PEGI 16 – voire du PEGI 18.
On dit que la violence est partout. Ce n'est pas entièrement vrai. Elle est à la télé, dans les infos, au cinéma, dans les séries et les jeux vidéo, certes. Au théâtre, on croise plus souvent une violence contenue, maîtrisée, insidieuse. Mais une violence comme celle-ci – visible, éclatante, explosive, frontale – je ne crois pas en avoir déjà vu. Je ne suis déjà pas une grande adepte de la violence à travers les écrans. Mais là, autant vous dire qu'on passe un cap. On se la prend de plein fouet, la violence, quand elle se joue à quelques mètres de vous, incarnée par des êtres de chair et d'os que vous pourriez presque toucher.
C'est d'autant plus troublant que là où la pièce montre la violence, elle laisse planer le doute sur beaucoup d'autres choses. Elle expose, mais ne donne pas toutes les clés, laissant le spectateur faire parler son imaginaire pour répondre à ses questions. Elle avance à son rythme, s'appuyant sur ses rebondissements pour relancer régulièrement l'action. C'est un très bon équilibre entre thriller, violence et interrogation. Elle maintient le suspense, distille des indices, puis assomme pile au moment où on pensait avoir compris. Très malin.
Vous l'aurez compris : c'est un spectacle qui laisse des traces. Dérangeant et brutal, tendu et suffocant, c'est le genre de proposition qu'on n'a pas l'habitude de voir et qui vous cloue à votre siège. Le sujet y est pour beaucoup – ça gueule, ça parle mal, ça sent la misère et la misogynie – mais les acteurs sont particulièrement impressionnants. Olivier Sitruk, Pauline Lefèvre et Rod Paradot incarnent trois visages de la misère, trois âmes perdues et seules qui tentent de s'en sortir comme elles peuvent, chacun à manière. Ensemble, ils posent le cadre de nécessité qui justifie toute l'histoire. Carla Muys, elle, se détache avec son aspect lunaire et cette présence un peu évaporée. En jeune oiseau malmené, elle laisse constamment planer un doute sur ses réelles intentions, alimentant l'angoisse qui règne sur scène par cette fragilité déconcertante.
Et que dire de Benoît Solès. Son regard clair et fixe, à la fois malicieux et perçant, fait tout le double jeu de ce pervers classe et imprévisible. Séducteur ou agresseur ? Difficile à dire. Il est insaisissable et mène la danse avec une fermeté glaçante. Et au final, c'est bien lui qui tient les ficelles de cette partition violente. Comme le joueur derrière sa manette, il contrôle chaque mouvement, anticipe chaque faux pas. Sauf qu'ici, on n'est pas derrière un écran : on est dans la salle, impuissants, forcés de suivre sa chorégraphie jusqu'au bout. Et impossible de mettre pause.























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