La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
J'ai vu ce spectacle il y a 7 ans, par hasard, à Avignon. J'ai été soufflée. C'est un énorme souvenir théâtral pour moi. J'en ai beaucoup parlé. Beaucoup, beaucoup parlé. Et puis les années ont passé. La troupe a évolué, la metteuse en scène a fait une grande école de théâtre, le comédien qui joue Roberto Zucco a joué dans des séries, notamment sur Arte face à Niels Arestrup, excusez du peu. Et voilà pas qu'il y a quelques semaines, je retombe sur cette affiche. Je reconnais ce comédien. Je ne peux pas y croire. J'ai même peur d'y retourner. D'être déçue. Mais quand même, j'y vais, je me relance. Et à nouveau, le choc. Waouw. Un collectif à suivre !
Pourtant, on ne peut pas dire que je sois une grande fan de Koltès. Mes rares rencontres avec lui aujourd’hui se résument à une mauvaise mise en scène du Retour au désert et d’une, bien meilleure, de La solitude des champs de coton, mais ce sont chaque fois des textes qui m’ont paru bien loin de moi. Je ne m’attendais donc pas à être happée comme je l’ai été. Le texte initial a probablement été un peu adapté. Mais le résultat est là. Il m'a embarquée avec lui dès la première scène pour ne plus me lâcher.
Il y a d’abord une mise en scène brillante que l’on doit à Rose Noël, qui incarne aussi un rôle dans le spectacle. Elle commence comme une claque et ne s’affaiblit pas, se déroulant crescendo jusqu’à une fin d’une beauté symbolique à couper le souffle. La mise en scène bifrontale permet d’engager tous les spectateurs, qui s’attendent presque à devenir otages de Roberto Zucco entre deux scènes. Mais c’est peut-être le choix des corps et les rapports qu’ils induisent qui fait la grandeur de ce spectacle : Rose Noël a misé sur sa troupe plutôt que sur des trucs de mise en scène artificiels. La mise en scène est sobre mais tout y fait sens.
Mais il y a aussi, et surtout, cet acteur incroyable qui incarne Roberto Zucco. Axel Granberger. On ne voit que lui. Il n’est pourtant pas si présent que ça, mais a le don, absent, de se faire chercher. Il a quelque chose du Peter Pan originel, celui qui tue les enfants perdus qui grandissent, ce Roberto Zucco. Il est fascinant. Par son regard, souvent enfantin, parfois sauvage. Par son corps, qui peut briser sa mère mais qu’on imagine sans difficulté s’envoler d’un coup de vent. Par sa diction, car si son accent étranger accentue la particularité du personnage, il a une manière de dire, de crier, de murmurer, qui tend à l’universalisme. Ou peut-être sont-ce les mots de Koltès qui sonnent si vrais dans sa bouche ?