La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
J'ai un peu froncé les sourcils à l'annonce de ces Justes au Poche-Montparnasse. J'avais très envie de découvrir la première mise en scène de Maxime d'Aboville, mais l'idée de retrouver ce texte ne m'emballait pas. Les Justes, pour moi, c'est un mauvais souvenir scolaire : je l'ai eu au programme du bac, et j'étais restée aussi froide à la lecture que devant la captation. Autant vous dire que je ne m'attendais pas à être captivée. Et pourtant.
On pouvait faire confiance à Maxime d'Aboville, perfectionniste comme il l'est, pour rendre ce texte le plus limpide possible. Des Justes, j'avais un souvenir lourd d'élans didactiques et de démonstration philosophique. Cette version resserrée, incisive, gomme les aspects de Camus qui peuvent tenir à distance du texte. Elle parvient à transformer le débat d'idées en un vrai suspense psychologique.
Ce qui frappe dans ce spectacle, c'est sans doute sa rigueur. Les répliques sont brutes, les phrases courtes, rapides, tranchantes, glaçantes. On est happés. En coupant dans le gras, Maxime d'Aboville semble faire le pari du récit, des personnages, pour faire exister les questions philosophiques de Camus, autour des sujets de violence, de justice, de morale. Et ça fonctionne. Il n'est plus seulement question de concepts. Il est aussi question d'humain.
Il faut dire que l'équipe réunie sur scène sert parfaitement cette vision. Ces comédiens - que j'avais déjà croisés dans Naïs et qui portent ce projet depuis le début - réussissent leur pari haut la main. Ils ont été les élèves de Maxime d'Aboville, c'est vrai, mais je m'en voudrais de ne pas souligner leur justesse. Le quatuor est parfaitement équilibré, chacun incarnant une facette différente du doute moral.
On comprend qu'ils aient voulu monter ce texte aujourd'hui. On est en 1905, certes, mais ce qu'on dit de la Russie et de sa gouvernance trouve évidemment des échos dans notre époque. La pièce met d'ailleurs le spectateur dans des situations délicates. Et c'est peut-être là que réside la vraie réussite de cette mise en scène : nous rendre complices malgré nous de ces questionnements, nous forcer à nous positionner. Et rendre Camus vivant.