La critique de l'Affiche
L'avis de
Mordue
C'est l'un des spectacles que j'attendais le plus de ce début d'année. Lavaudant et Le Misanthrope, je signe direct. Elmosnino, ça m'intrigue, j'ai une curiosité mêlée de peur. Sur le papier, ça peut marcher comme ça peut aller dans le mur. La distribution est un peu vieille. Et puis dès la scène d'exposition, quelque chose se produit : Elmosnino et Marthouret installent une énergie de dispute qui transforme immédiatement la pièce. Je comprends que je ne vais pas voir le Misanthrope que je connais, celui des grandes tirades intellectuelles et des personnages figés dans leurs types. Et je ne me trompe pas.
Ce que Lavaudant accomplit ici, c'est un tour de force : il a enlevé le poids du Misanthrope, gratté tout ce qu'on sait d'avance, tous les stéréotypes de personnages. Ce qui reste, ce sont des humains avec de vrais enjeux, une urgence qui traverse chaque scène sans jamais s'interrompre. J'ai l'habitude de voir Molière joué intellectuel, avec des personnages qu'on observe de loin, qu'on analyse. Là, ce sont des hommes et des femmes qui tentent de s'aimer, de se comprendre, et qui échouent magnifiquement. Le Misanthrope devient un vrai récit, avec de la tension, du sentiment, du souffle. Je n'avais jamais assisté à ça. C'est l'un des plus grands Misanthrope auxquels j'ai assisté.
Éric Elmosnino abandonne toutes ses habitudes d'acteur pour incarner un Alceste inédit. Fini les fins de phrases traînantes, la nonchalance blasée qu'on lui connaît. Son Alceste crache, s'emporte, les yeux écarquillés, la voix tremblante. Il est énervé, vraiment énervé de la bassesse du monde, comme si les actions des gens n'étaient jamais à la hauteur de ce qu'il espère d'eux. Mais ce n'est jamais en force : il est blessé, il souffre, il se bat contre lui-même. Un homme gêné, embarrassé, qui voudrait être ailleurs. Je me dis qu'il ne va pas tenir cette intensité – et il tient, porté par une sauvagerie, une authenticité brute. Face à sa lutte intérieure, les émotions sont simples : on rit et on pleure. François Marthouret, lui, compose un Philinte léger et souriant, qui observe le chaos avec une distance joyeuse.
C'est sans doute l'un des rôles les plus difficiles du répertoire, et Mélodie Richard le rend limpide. Elle livre une Célimène lumineuse, loin de toute minauderie. Son œil malicieux, son regard droit et affirmé, sa légèreté cruelle disent tout : elle domine l'échiquier. Ce n'est pas une coquette superficielle mais une femme consciente de sa supériorité, légèrement manipulatrice et hautaine, qui rit de ses propres vannes avec une confiance désarmante. Elle joue dans un monde qui n'est pas le sien, constamment sur ses gardes, en quête perpétuelle de l'approbation de son environnement. Dans le moindre clignement d'œil, dans l'éclat de sa peau, dans sa gestuelle élégante, on lit une force qui impressionne dès le début. Aurélien Recoing compose un Oronte superbe, enthousiaste et emporté, qui ne cherche jamais à appuyer le comique – et c'est justement ce qui le rend hilarant dans son manque total d'empathie.
La scénographie noire et blanche de Jean-Pierre Vergier installe un jeu d'échec élégant, sans aucune fioriture. Et toute la mise en scène suit ce principe : une fluidité parfaite, pas d'enjolivement, pas de temps mort. Un flux traverse la pièce que rien n'arrête, un souffle, un élan qui me porte du début à la fin. Dans le moindre clignement d'œil, dans la gestuelle des acteurs, dans le travail du texte, tout respire la finesse et l'élégance. Lavaudant ne cherche pas à démontrer, il laisse la pièce respirer, exister. Je découvre dans ce Misanthrope une pièce pleine d'émotion, de sentiment, de souffle. Une pièce puissante et ravageuse. Une redécouverte. Une révélation.
























.webp)
.webp)
.webp)