La critique de l'Affiche

L'avis de
Martin
"Je tiens à vous préciser que malgré les aberrations que vous entendrez, tout est vrai". C'est comme cela que Virginie Lemoine introduit le spectacle avant même que celui-ci ne commence. Et ces mots résonneront dans notre esprit pendant l'heure et demie qui va suivre. Son parti pris est très fort : cinq femmes lisent le Manuel de la jeune mariée de 1957. Sans commentaires. Sans critiques. Sans jugement. Elles le lisent comme des femmes de cette période qui découvrent les règles qu'on leur dictent et qui les respectent.
Le Manuel de la jeune mariée, c'est un livre où l'on expliquait à de jeunes femmes comment être de bonne maîtresses de maison. Reflet de toute la société patriarcale et sexiste de l'époque. Le relire simplement aujourd'hui, sur scène, est d'une puissance que je n'aurais jamais imaginé. Je vous spoile la fin de ma critique : c'est l'un des spectacles les plus féministes que j'ai vu depuis longtemps. Alors même qu'il n'y a aucun discours féministe, bien au contraire puisqu'on y entend l'horrible place à laquelle étaient condamnées ces mères, ces épouses, ces filles.
Le procédé est d'une simplicité redoutable : on nous propose de regarder en arrière. C'est une photographie de 1957. Donc oui, tout est premier degré, mais cela remet tout en perspective. Quand on se rend compte que leurs certitudes ont aujourd'hui été démenties, on se dit que nos croyances actuelles seront peut-être balayées demain. C'est comme regarder dans le rétroviseur finalement : on y voit tout le chemin parcouru évidemment mais aussi tout ce qu'on n'avait pas vu, les dangers qui peuvent encore arriver et nous dépasser, et cela nous donne envie d'avancer un peu plus vite pour aller vers l'avant. Et ne surtout pas revenir en arrière.
C'est enfin une ode à la femme. La mise en scène de Virginie Lemoine est d'une fraîcheur envoûtante, d'une rigueur déconcertante et d'une richesse impressionnante. Le ton employé permet d'ajouter de l'humour et de la douceur malgré les propos cités. Surtout, elle a fait une vraie place à ces femmes. En ponctuant la lecture du Manuel par des histoires personnelles des personnages, elle les a humanisé. Alors même qu'on leur demande d'être des machines au service de leurs maris, elle nous rappelle qu'il s'agit de femmes, qui ont des émotions, qui pensent, qui désirent, qui ressentent, qui aiment. Cela en devient un hommage discret et émouvant, à celles qui se sont dévouées, qui ont souvent sacrifié leur liberté. On y reconnaît nos proches, car c'est notre histoire. Et on leur dit merci.
Alors ce spectacle il bouscule. On a tellement vu de pièces engagées sur ce sujet qu'on se demande s'il est possible de faire différemment. On ressent la sincérité de Virginie Lemoine, qui a certainement était piochée dans des sentiments très personnels. Et elle réussit son pari. Son parti-pris convainc. C'est plus que réussi, c'est du haut vol. Bravo. Un immense coup de coeur pour débuter ce Festival.