La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Triple ou quadruple événement de la rentrée en un seul spectacle : La Séparation, unique pièce du Prix Nobel de littérature Claude Simon, spectacle jamais joué, est montée par le génial Alain Françon - avec, à l'affiche, pas moins que Catherine Hiegel et Léa Drucker. C'est peut-être le spectacle que j'attendais le plus de la rentrée. Et en plus, comme je ne connais rien à Claude Simon, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre. Encore mieux.
Première confrontation à Claude Simon, premier choc. Mon accompagnatrice, qui connaît l'auteur, dit qu'il y a tout son univers et son style particulier. Ceux qui savent, savent. Pour moi, c'est une découverte totale. Je découvre un début fait de descriptions, qui dessine le décor par touches sensorielles comme un tableau qui s'animerait sous nos yeux. La beauté de la langue est indéniable, même si ce n'est pas ce qu'on attend habituellement d'un dialogue de théâtre. Puis, petit à petit, on entre dans quelque chose de plus théâtral ou disons de plus attendu suivant les codes du théâtre - et encore, on quitte les descriptions pour de longue tirades. Des tirades qui ne dessinent pas grand chose si ce n'est une détresse, des personnalités toxiques, une solitude.
Loin de moi l'idée d'effrayer quiconque, mais soyons clairs : c'est inhabituel, c'est une langue littéraire pure. Si vous acceptez ce pacte-là, alors vous assistez à une perfection théâtrale. Il ne fallait pas moins qu'un maître comme Françon pour faire d'un tel objet littéraire du spectacle vivant. Et c'est exactement ce qu'il accomplit : à la beauté des mots, il ajoute celle des corps et des gestes. Il ne trahit pas la littérature, il l'incarne.
C'est un texte qu'on ne voit peut-être monté qu'une fois dans sa vie, et je l'aurais vu de la plus belle des manières qui soit. La distribution tout entière est au diapason de cette exigence. Chaque interprète trouve le ton juste pour habiter cette langue si particulière, transformant les mots de Claude Simon en chair et en présence. Mais c'est Catherine Hiegel qui sidère : au sommet de son art, elle livre une performance d'une vulnérabilité et d'une violence mêlées absolument bouleversantes. Sous la direction de Françon, ils accomplissent l'impossible : transformer cette matière littéraire en présence brute, sans rien perdre de sa densité. C'est un travail d'orfèvre, un équilibre miraculeux entre fidélité au verbe et liberté du plateau. On en ressort presque convaincu qu'on pourrait se lancer dans Claude Simon. Chapeau bas.