La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Pendant la représentation, je me demande : qu'est-ce qui fait qu'on les regarde fascinés, ces mecs ? C'est ma cinquième pièce de la journée, elle a commencé à 21h pour se finir tard dans la soirée, le texte de Beckett est toujours aussi opaque, et pourtant.
C'est un Godot qui m'a d'abord paru très naturel. Comme un Godot de la conversation, qui ne cherche pas l'effet et joue la situation, les dialogues, aussi étranges soient-ils. Juste deux types qui parlent — et qui tiennent debout parce qu’ils parlent. Parce que tant qu’ils se parlent, ils sont là, ensemble, vivants. Deux clowns fatigués, drôles malgré eux, et bouleversants parce qu’ils se raccrochent l’un à l’autre comme à une bouée.
Denis Lavant, c'est simple : on le croirait sorti d'une pièce de Beckett. En fait, on le croirait sorti tout droit de Godot. Il est là, c'est sa place, et Estragon lui va comme un gant. Il forme avec Jacques Bonnafé un duo parfait. Leurs corps se comprennent, leurs gestes se répondent, leurs silences se complètent. On ne suit pas l’intrigue, on suit la conversation – aussi absurde soit-elle – parce qu’ils la font exister avec une vérité brute.
La deuxième partie du spectacle, qui voit l'arrivée des deux nouveaux personnages, Pozzo et Lucky, est plus compliquée. Petit à petit, le rythme change, se fait plus lent, moins drôle. On quitte le terrain familier de nos deux vagabonds pour entrer dans une autre dimension, plus sombre, plus abstraite. On pensait le premier duo limpide ; le second nous désoriente. La fatigue ? Le texte ? L’attente ? Difficile à dire. Quelque chose se dilue, se dérobe un peu. On ne décroche pas tout à fait. On regarde, on doute, on s’interroge. Et on va continuer, encore et encore, de se poser des questions sur ce Godot.