La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Il y a des dates dont on se souvient. Liées à des grands événements internationaux ou à des choses très personnelles. Moi, je me souviens très précisément où j'étais le 16 octobre 2020, lors de l'annonce de l'assassinat de Samuel Paty. Je me souviens de la nausée, du blocage du cerveau face à l'inconcevable. C'est précisément pour ça qu'on n'a pas envie de voir Le Professeur. On n'a pas envie de se replonger dans cette horreur. On y va pour le devoir de mémoire. On reste pour le devoir de mémoire... et pour le moment de théâtre qui nous est proposé.
Carole Bouquet n'est pas au sommet de sa forme, mais c'est Carole Bouquet. On a lu qu'elle avait eu un malaise durant la représentation quelques jours avant, et on retient son souffle lorsqu'elle bute sur certains mots. Pourtant, même fatiguée, elle reste Carole Bouquet. Sa voix, sa diction, sa présence habitent le texte et donnent chair aux derniers jours de Samuel Paty. Elle incarne cette aberration qui se referme lentement autour de lui, retenue et inexorable. Sa fragilité du moment devient presque un écho à celle du professeur lui-même.
C'est une lecture, mais on est immédiatement plongés dans la fiction. Le texte est très bien construit – on ne serait pas étonné si cet attentat terroriste, et surtout l'histoire qui lui est liée, donnait lieu à un film d'ici quelques années. Car cette histoire possède tous les ressorts d'un excellent thriller : la montée en tension, les différents protagonistes, le rôle des réseaux sociaux, la situation qui commence à nous échapper progressivement. À un détail près, vertigineux : tout cela est réellement arrivé.
Et peut-être parce que c'est vrai, on est encore plus attentif à tout. Au déplacement insidieux du cœur du débat : d'un cours sur la liberté d'expression, on glisse vers un procès en sensibilités froissées. À la moindre lâcheté, à la moindre hésitation lourde de sens, à la moindre intonation qui pourrait renverser le cours des choses. Les dialogues rendent le sujet incroyablement vivant, réel, proche de nous. Les mots sont quotidiens et la situation fait froid dans le dos.
Ce ne sont que des petits bouts de choses qui, mis bout à bout, amènent à l'horreur qu'on connaît. Des petites lâchetés, des petits mensonges. C'est glaçant. C'est peut-être encore pire d'entendre l'histoire lorsqu'on connaît la fin. De voir Samuel Paty rester droit, fidèle à son discours, à sa version, sûr de son droit et de son intégrité. D'entendre les dialogues – fictionnalisés certes, mais si quotidiens – qui ont mené à l'irréparable. Et de constater que cette fin fait toujours aussi mal qu'il y a cinq ans.