La critique de l'Affiche
L'avis de
Mordue
La première chose que je me dis devant ce spectacle, c'est que Guillaume Barbot a donné vie à la langue de Lagarce de la manière la plus simple qui soit. C'est tellement fluide, tellement naturel, qu'on n'entend plus l'étrangeté de cette langue si particulière. Elle n'est mise qu'au service de la gêne, et provoque alors un rire que je n'avais encore jamais entendu dans cette pièce. Il nous fait naviguer à travers cette famille, il nous fait ressentir ce mélange d'évidence et de gêne qui peut exister dans ce milieu si particulier, si intime et pourtant parfois si lointain.
Louis retourne chez les siens et, pour la première fois, la première chose qu'on voit, c'est une famille. Pas d'abord la tension, les sous-entendus, le poids des non-dits – tout ce qu'on projette d'ordinaire sur ce texte. Non, on voit d'abord une famille qui vit et qui soudainement retrouve l'un des leurs. On ne sait pas ce qui va se passer. Guillaume Barbot est parvenu à ôter tout ce qu'on associe habituellement à cette histoire pour nous y faire entrer différemment, plus simplement. Il la raconte presque comme un conte, une histoire qui se suit, qui se déroule de manière linéaire et accessible. Il nous rappelle que, quelque part, quand Louis retrouve sa famille, la vie ne s'est pas encore arrêtée.
C'est une mise en scène qui prend le temps. On pose vraiment la situation : on traverse les saisons, on évoque les fantômes et les souvenirs qui hantent la maison, on nous fait sentir des restes de quelque chose, de leur enfance peut-être. Et ce temps-là, qui accentue encore le lien défait entre Louis et sa famille, permet une réelle mise en valeur de ses monologues. Là où le personnage apparaît d'habitude comme celui qui ne fait qu'écouter, on a vraiment l'impression de le voir exister. Ses prises de parole prennent alors toute leur puissance grâce à cette sorte de contextualisation proposée par la mise en scène.
La tension passe alors autrement que par la langue. Par les gestes, la mise en espace, les ombres, la scénographie. Là où l'écriture de Lagarce nous place habituellement à distance de la pièce, Guillaume Barbot parvient à rendre cette famille proche de nous. Seul Louis se détache, seul Louis est ailleurs. Il est à contretemps. Et à contre-ton. Mathieu Perotto est le Louis parfait. Un côté spectral, déjà légèrement évaporé, déjà parti. Ce grand corps qu'il essaie de faire prendre moins de place, ses mains qui frôlent pour ne pas toucher.
Alors oui, il y a peut-être un peu "trop" de choses. Trop d'idées pour faire un tout complètement harmonieux et simplement naturel. Mais c'est beau, mais on entend ce texte, mais un lien presque intime se crée avec eux pendant les deux heures que dure le spectacle. Moi qui me suis toujours sentie un peu extérieure à cette histoire, moi qui ai toujours voulu prendre le point de vue de Louis, puisque c'est le narrateur, j'ai cette fois-ci pu me positionner des deux côtés.
Et petit à petit, les choses se défont. La famille laisse place au débordement et la langue de Lagarce éclate. Le réalisme se dissout lentement pour laisser place à quelque chose de presque psychédélique. On change d'ambiance, d'univers, presque de langue. Tout d'un coup, c'est comme si on se prenait de plein fouet le style étrange de Lagarce, alors même que ça fait 1h30 qu'on regarder le spectacle. Tout ce qui a été mis en place pour rendre le texte le plus lisible possible permet à toute la puissance de ce texte d'éclater peut-être deux fois plus fort que ce qu'on voit d'ordinaire. Une déflagration nécessaire, qui justifie à elle seule toutes les audaces de cette mise en scène.
























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