La critique de l'Affiche

L'avis de
Mordue
Dans la salle de l'Atelier, en cette rentrée théâtrale, on croise beaucoup de femmes. Pas étonnant : La chair est triste hélas adapte l'œuvre d'Ovidie, féministe et pour le moins incisive. Le mot est presque trop faible, on aurait plutôt dit : extrême. Sa radicalité, son ton tranchant, son absence de nuance marquent d'emblée. Des mots crus, des phrases chocs, de belles punchlines : on est rapidement frappé par cette représentation âpre de la condition féminine, poussée à l'extrême mais peut-être pas si déformée quand on songe à l'univers pornographique dans lequel a évolué son autrice.
Anna Mouglalis prête sa voix à celles qu'on entend peu. Elle fait le lien avec cet autre monde où la représentation féminine semble si dégradée. C'est sans filtre, sans demi-mesure. Les mots bruts résonnent de sa voix rugueuse, âpre, que j'aime tant. Elle rythme et cadence ce qui pourrait devenir un réquisitoire trop unilatéral. Ovidie, qui signe aussi la mise en scène, a choisi d'alterner ses mots avec des vidéos illustrant son propos, permettant une presque-respiration entre les tirades nerveuses.
Car au fil du spectacle, cette agressivité sans compromis s'essouffle un peu. Ce qui prend à la gorge au début finit par moins impressionner. Par sa présence magnétique et cette voix si particulière, Anna Mouglalis humanise ce pamphlet. Elle nous rappelle que derrière la provocation, il y a une femme, des femmes, et une expérience douloureuse qui mérite d'être entendue.
Si la colère d'Ovidie est légitime et nécessaire, si ses mots portent une vérité qui dérange, le manichéisme du discours finit par créer une distance avec une partie du public. Et le réel finit par nous rattraper, et quand on est plusieurs, sur une même rangée, à avoir la chance d'être entouré au quotidien par cette fameuse exception masculine, on se demande si cette radicalité ne finit pas par prêcher aux convertis, laissant de côté ceux qu'il faudrait peut-être convaincre.